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Chroniques
Benjamin Britten
Peter Grimes
Premier opéra de Benjamin Britten, Peter Grimes fut créé à Londres le 7 juin 1945. Le livret de Montagu Slater est adapté d'un poème de George Crabbe (1754-1832), originaire du port d'Aldeburgh – où Britten s'installa après la guerre. L'histoire de Grimes est liée à cette vie de bord de mer : un marin, réputé violent et cruel, est mis à l'écart de la communauté après la mort suspecte de trois de ses apprentis.
Outre sa musique simple et originale qui marque l'entrée de l'opéra anglais dans la modernité, le grand intérêt de l'œuvre est de sonder le cœur du spectateur. Va-t-il se joindre à Mr Swallow, maire et avocat du Bourg (et en cela représentatif d'un groupe mais aussi porte-parole de l'individualité) pour juger dès le prologue Grimes grossier, brutal, vulgaire ou va-t-il attendre et tenter, comme l'institutrice Ellen Orford, de chercher des circonstances atténuantes ? Pour Britten, la question ne se pose plus : le marin est « un individu rendu vicieux par sa lutte avec une société vicieuse, un visionnaire en conflit avec son temps et un idéaliste torturé ». Pour nous, difficile de trancher définitivement. Certes, le personnage central n'est pas le méchant stéréotypé de l'opéra verdien, ce n'est pas un monstre, ni un pervers (ou alors sexuel, ce qui oblige à une lecture souvent faite de cet opéra, mais dont on peut ici se passer) ; c'est avant tout un marginal, un inadapté social, à la fois en revendication (réclamer un jugement équitable, devenir riche pour prouver sa valeur et épouser Ellen), et à la fois trop égocentrique et immature pour départager rêves et réalité. Alors, comment pourrait-il s'occuper d'un enfant quand lui-même peine à mener sa barque, d'autant que le Destin s'en mêle ? S'il faut des coupable ici, c'est Ellen et Keene qui, guidés par la pitié, ont soutenu le projet du troisième apprenti ; et s'il faut un sage, c'est sans doute le capitaine Balstrode qui le comprend, respectueux de sa nature de solitaire, mais le condamne, lorsque le pardon n'est plus possible.
Une autre mise en scène aurait-elle conduit à une autre réflexion ? Celle de Tim Albery (qui s'est déjà frotté à The Turn of the Screw et à Billy Budd) nous convoque en tout cas à une tragédie. Deux ou trois saillies comiques ne parviennent pas à détendre l'atmosphère. Dans un décor d'un Turner qui aurait peint sans couleurs chaudes, au réalisme épuré, sans superflu, Peter Grimes évolue, en lutte contre tous. Le ténor Philip Langridge qui l'incarne a parfois des mimiques inutiles pour rendre compte de cet esprit tourmenté, mais son regard halluciné sur l'a cappella de la dernière scène nous vaut l'un des rares moments d'émotion de cette production. Il semble le ténor brittenien par excellence, puissant, avec des suraigus un peu acides. Janice Cairns (Ellen) paraît parfois limitée, dans son chant comme dans son expression : elle peut donner l'impression d'être absente, pas hors du personnage, mais à côté. Sa scène de l'Acte II, avec l'enfant muet, est cependant un des passages les plus intéressants.
À une mise en scène assez classique – agréable pour découvrir l'œuvre mais sans surprise – s'ajoute la platitude de l'enregistrement vidéo, avec ces gros plans sur des mains, ces vues en plongée qui n'apportent rien. Certains des six interludes sont gâchés par des reprises inutiles d'images précédentes – en surimpression –, en particulier celle de la gifle de Grimes à Ellen qui atténue dès lors chez le spectateur l’immense tension qu'elle générait.
Globalement, toute la distribution chante honorablement – le chœur surtout, lui qui gagne en importance à mesure que l'histoire avance. Citons en particulier Robert Poulton (le pharmacien Ned Keene), Mark Richardson (le charretier Hobson) et Alan Opie (le capitaine Balstrode, déjà évoqué). N'oublions pas Susan Orton, qui incarne Mrs Sedley, prototype de veuve hypocondriaque et cancanière, qui joue sans caricaturer, existant en premier lieu par les graves sonores de sa voix de mezzo. David Atherton dirige l'English National Opera Orchestra.
LB